Pendant deux ans je me suis rendu à la rencontre de ceux que l'on appelle «migrants» pour les photographier et recueillir leurs histoires. J'y suis allé seul, ne connaissant personne, en espérant que la sincérité de ma démarche trouve un écho parmi eux. Des associations m'ont ouvert leurs portes et nous nous sommes rencontrés. Pendant de longs mois, avec les réfugiés, nous avons été en contact, avons noué des amitiés et bâti ce projet ensemble. Il y a eu la nécessité d’humaniser, d’offrir une image non stéréotypée et digne de ces hommes et de ces femmes obligés de quitter leur pays pour échapper aux violences, aux brimades et parfois à la mort.
Ils sont homosexuels et ont été forcés de quitter tout ce qu'ils furent. Bannis de pays dans lesquels vivent leurs familles, fuyant leur travail, leurs amis, leurs enfants, les senteurs et les saveurs, les paysages de contrées que, pourtant, ils ne songeaient jamais abandonner. Ils sont les symboles de toutes les victimes que la haine des hommes emporte dans son cours. Tous sont venus à nous par la force des choses, par instinct de survie, par la nécessité vitale de trouver un lieu où, enfin, ils seraient acceptés.

Vous ne les avez jamais remarqués ; ils sont invisibles parmi la foule des anonymes, se font tout petit, discrets ; il y a Victoria, qui dut s'enfuir de l'hôpital pour échapper à la prison, il y a Taftalmiss dont les amis se firent tabasser et humilier, il y a Mena, séropositif rejeté dans son pays et dans l'impossibilité de s'y soigner, il y a Viktor, tombé dans un guet-apens et torturé, il y a Jesca, poursuivie chez elle et qui respire enfin ici, il y a Ioura, dont la famille entière dut quitter son pays, il y a Ihab, amoureux de la France, il y a Malik, assailli de toutes parts, vivant en semi-clandestinité, il y a Omid, artiste de talent menacé d'être pendu, et il y a Basirat, séquestrée, dont la petite amie a été assassinée.
La France est pour eux semblable à l'espace laissé par le reflux d'une grande vague qui faillit les emporter. Une terre nouvelle, neutre, un territoire qui porte en lui la paix et la possibilité d'une vie calme et paisible.
Mais que l'on ne s'y trompe pas ; rien n'est achevé. Je pense à ces centaines de bénévoles inconnus qui assurent le soutien, l'aide et l'apprentissage du français auprès des migrants. Je pense à ceux qui, sans aucun revenu, se voient forcés de frauder les transports pour rejoindre une convocation judiciaire avec la peur au ventre, ceux qui ne peuvent travailler légalement et qui se retrouvent exploités. Ceux qui n'ont pas 20€ pour que leurs enfants puissent continuer à aller à l'école. Enfin, je pense à toutes celles et ceux qui, pour nous rejoindre, sont morts emportés dans les tempêtes, glacés dans les cimes enneigées, endormis pour l'éternité sur les bancs de nos villes.
Vous, personne médiatique, responsable politique, journaliste, associatif, travailleur social, acteur du monde artistique, philanthrope et humaniste, citoyen, je fais mon travail, faites le vôtre : parlez-en autour de vous, partagez ces images et ces témoignages, faites en sorte que leur mémoire fasse partie de la grande histoire de France. Ne fermez pas les yeux sur ces milliers de personnes qui nous viennent et auxquels notre premier devoir est de tendre la main.
Vous tous qui avez participé à ce projet, je vous remercie et vous témoigne ma plus profonde admiration.
Omid
"Je m’appelle Omid, j’ai 26 ans et je viens d’Iran. Dans mon pays, tout le monde à tendance à se mêler des affaires du voisin, la liberté n’existe pas en public. Par exemple, si tu te promènes avec une fille et que vous semblez intimes, on risque de vous contrôler, de vérifier que vous êtes bien mariés ou de la même famille ; si ce n’est pas le cas, on vous embarque.
En privé, les jeunes font la fête, on boit de l’alcool, on danse, les filles retirent leur voile, on écoute de la musique ; je n’ai d’ailleurs pas perçu tellement de différences en arrivant en France. Seulement, en Iran, tout cela reste interdit. Si le voisin est en mauvais termes avec vous et qu’il entend la musique, il peut vous dénoncer et la police intervient, elle fouille l’appartement et vous emmène. Cette coercition permanente s’est en quelque sorte rendu autonome de la pression religieuse : la nouvelle génération est de moins en moins croyante mais les Iraniens restent embrigadés par des interdits qui structurent toute la société.
Il est tabou de vivre en Iran. Si tu n’es pas en couple après 25 ans, tu deviens suspect, on va te poser des questions et s’introduire dans ta vie privée. Ce n’est pas normal, les gens commencent à avoir un doute, tu subis des pressions et c’est de plus en plus invivable pour toi. Du coup les homos se résignent à vivre seuls à jamais ou se marient avec une femme, ils font semblant.
Si on découvre que tu es homo, alors on te tue par pendaison, immédiatement. Au mieux, nous sommes vus comme des malades ; une fille qui était tombée amoureuse de moi, compatissant sur ma condition, m’envoyait des articles de médecine en espérant me guérir.
Il n’y a pas longtemps j’ai annoncé mon homosexualité à des amis français, je tremblais, j’étais tétanisé, j’avais très peur de les perdre. Ils m’ont répondu que ça avait autant d’intérêt que de parler d’un match de foot.
En avril 2017 j’ai été admis à l’école des Beaux-Arts de Paris, j’en suis très fier. Je peins depuis des années, la plupart du temps clandestinement car, en Iran, il est interdit de représenter le corps humain. On nous apprend à recopier inlassablement de grands artistes iraniens validés par les autorités. Du coup, il n’y a pas de créativité, tout est encadré.
Mon travail s’axe sur la représentation de la figure humaine et je m’inspire d’artistes comme Lucian Freud et Francis Bacon. Si je n’avais pas bénéficié autant de la bienveillance de l’un de mes profs, j’aurais certainement été arrêté et peut-être condamné à mort.
Maintenant que je suis en France, j’essaie de nouer le maximum de contacts dans le milieu artistique, j’ai enfin la liberté de peindre, d’être soutenu, exposé et d’avoir un horizon ; maintenant je me sens bien. Je me promène paisiblement, je travaille librement, je n’ai plus peur des gens et je n’ai plus à m’organiser en fonction de mes angoisses."
Le portrait d'Omid a été réalisé face à l'installation Prismes des artistes Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse.
Ihab
"Je m’appelle Ihab, j’ai 32 ans et je suis jordanien. J’ai quitté mon pays car si j’y étais resté, ma vie n’aurait jamais pu être paisible. L’homosexualité n’y est pas interdite mais les mentalités conservatrices font qu’aucun homosexuel n’oserait s’affirmer en public, nous vivons cachés.
Les brimades sont fréquentes, les raclées, les humiliations de toutes sortes même de la part de la police. Il n’est pas rare non plus d’entendre parler d’homos ayant disparu que l’on ne retrouve plus jamais.
J’ai vécu au Qatar où j’ai travaillé, puis en Suède, mais c’est en France que je souhaiterais passer ma vie et c’est la nationalité de ce pays que j’aimerais acquérir. C’est ici que j’ai été le mieux accueilli, j’ai des droits sociaux, je peux reprendre des études si je le désire, avoir une nouvelle vie, complètement libre. Je vais m’inscrire à l’université dès que je pourrai, j’ai pour projet de monter un business pour venir en aide aux réfugiés et contribuer à l’économie française.
J’ai d’abord à choisir un second prénom qui soit français, j’ai sélectionné David, ça fait juif et je suis musulman, mais je m’en fiche ! C’est un véritable bonheur de pouvoir jouer avec les codes, j’ai aussi tatoué « Peace and Love » en hébreu sur l’épaule gauche. Nul ici ne m’observe ni me juge ; certaines personnes sont croyantes, beaucoup d’autres sont athées, personne ni aucune autorité ne te forcera à aller dans un sens.
En France vous avez imaginé la plus belle invention du monde : la laïcité ! Parfois je vais prier à l’église, à d’autres moments au temple ou à la mosquée, cela n’a aucune importance. Je crois en un dieu commun et j’aime tellement les gens et suis tellement curieux de les connaître que je refuse tout ce qui pourrait nous diviser.
Un jour j’ai demandé à un imam si l’homosexualité était vraiment interdite dans l’Islam ; il m’a répondu que cela était très discutable. Bien sûr, tu peux avoir une interprétation intransigeante et dogmatique des versets, ce qui fait de toi un fanatique encourageant des politiques violentes. La plupart de mes amis sont musulmans et homos, certains sont très pratiquants et font leurs cinq prières quotidiennes ; d’ailleurs l’un d’eux rentre tout juste du pèlerinage à la Mecque."

Taftalmiss
"Je m’appelle Taftalmiss, j’ai 27 ans et je suis kabyle, pas algérien. En tant que Kabyles, nous sommes devenus musulmans de force, notre langue, le tamazight a été bannie sous Boumédiène et nos cultures n’ont rien à voir. Nous nous rappelons toujours les viols commis par les militaires algériens contre les étudiantes de Tizi Ouzou en 1980.
Un pays est censé protéger ses citoyens, ce n’est pas le cas nous concernant. Nous nous sentons dépossédés et étrangers dans notre propre pays. Alors, nous avons une certaine fierté à nous revendiquer kabyles, c’est tout ce qu’il nous reste ; je ne comprends pas pourquoi en France vous avez du mal à vous dire fiers d’être français. C’est le pays des droits de l’Homme !
Le 24 octobre 2012 j’ai quitté l’Algérie, c’était devenu une nécessité. J’y avais une relation avec un garçon qui s’est fait humilier et tabasser et j’ai compris que je risquais ma peau si je restais. J’ai préféré poursuivre mes études en Russie car je savais que j’y aurais plus de liberté et je voulais éviter la communauté arabo-musulmane fondamentaliste qui sévissait dans la région, au sud de l’Algérie où j’étudiais.
Mais j’ai commencé à déchanter au bout de la deuxième année en découvrant l’homophobie russe. J’ai vu des amis trans se faire agresser sans raison à Saint-Pétersbourg : si on t’agresse, les flics ne prennent pas ta défense, ils détournent le regard, s’en vont. J’avais à cette époque une bonne relation avec une personne que je fréquentais au quotidien. Un jour, il m’a agressé, juste parce qu’il avait découvert que j’étais gay. Au moment où je lui tendais la main pour le saluer, il m’a envoyé son poing dans la figure.
C’était pendant le printemps de 2015 et je ne voyais maintenant plus d’avenir en Russie, malgré mon amour pour ce pays dont j’admire la culture et l’histoire… Et puis je commençais à déconner, à mal tourner.
Je me dis qu’en Europe je pourrai vivre mon homosexualité en toute liberté ; j’arrive donc en France le 25 août 2015. Une semaine après je fais ma demande d’asile et j’obtiens le statut de réfugié un an plus tard. En ce moment, je cherche un emploi dans l’exploitation des gisements pétroliers. J’ai repris le sport que j’avais délaissé, j’ai aussi passé mon permis en économisant sur mon RSA. Jusqu’alors je n’avais pas trop de problèmes d’argent car j’étais hébergé chez une vieille dame contre services.
Depuis mais 2017 je vis chez mon copain, un Chinois étudiant en école de mode. Nous vivons comme un couple normal, c’est une délivrance ; lui comme moi, nous nous sentons en sécurité."
Jesca
"Je m’appelle Jesca, j’ai 45 ans et je suis ougandaise. Je suis arrivée en France le 13 août 2016 après avoir été persécutée dans mon pays à cause de mon orientation sexuelle. Si tu es homosexuelle en Ouganda, le danger rôde partout et menace à chaque instant. D’un point de vue traditionnel, religieux, social et politique, tout nous est hostile. Tu es homo à tes propres risques.
Dès toute petite, je n’agissais pas comme les autres petites filles : je préférais les jeux de garçons ce qui désespérait mes parents. Ma mère me frappait, me confisquait mes jouets, je me suis sentie rejetée très tôt, et rapidement détestée par rapport à mes frères et sœurs.
J’ai réalisé que j’étais homosexuelle à l’âge de 16 ans, quand j’étais en senior two, ce qui correspond au lycée en France, au moment des premières amourettes. Depuis cette époque j’ai subi toutes les persécutions possibles.
J’ai terminé mes études à 26 ans et devins secrétaire au ministère de l’Éducation. J’étais encore célibataire mais rapidement je fus mariée à un homme que je n’aimais pas. Notre mariage a duré 13 ans, il ne reposait pas sur des bases solides et n’a jamais vraiment pu s’épanouir. Quoi qu’il en soit, j’ai suivi le chemin tracé pour toute femme ougandaise et suis devenue mère de deux enfants.
Un jour, une personne de mon entourage m’a dénoncée en tant qu’homosexuelle à mon mari. Il est sorti de ses gonds, m’a rejetée, a banni nos enfants, s’est montré agressif envers mes parents. Puis il m’a accusée auprès du gouvernement avec le soutien de ces derniers.
Petit à petit la rumeur s’est répandue dans notre entourage, j’aurais pu être tuée, battue en pleine rue par la foule. Si la police était intervenue à ce moment, au mieux elle aurait dispersé la cohue mais personne n’aurait été condamné, à part moi. Je me suis sentie menacée et condamnée à mort ; ma seule issue était la fuite.
Quand je suis arrivée en France, ma vie a radicalement changé en se chargeant d’espoir. J’aimerais profiter de cette tribune pour remercier du fin fond du coeur les associations qui m’ont soutenue et que je considère aujourd’hui comme des membres de ma famille. En premier lieu il y a l’Ardhis qui m’accompagne depuis le début et m’a permis d’obtenir mon statut de réfugiée après plusieurs mois difficiles de lutte et d’efforts. Il y a ensuite le CLF (Coordination Lesbienne de France), le Lesbian Beyond Boarders et l’OPAL (Out and Proud African LGBT).
Toutes ces associations réalisent un travail merveilleux ; grâce à elles je me sens libre, je considère enfin que je suis une personne respectable et que j’ai un avenir. La France est un bel endroit où vivre, qui m’a permis de me révéler, d’affirmer ce que je suis et d’en être fière.
J’ai maintenant le droit de communiquer librement, de me déplacer et de me promener dans n’importe quel espace public sans peur. J’ai de nombreux amis ici et mes enfants ont pu me rejoindre. Ces derniers sont ce que j’ai de plus cher au monde, je souhaite les préserver de tout ce que j’ai pu vivre dans le passé ; ils suivent ici leur scolarité normalement et sont soutenus. Mon premier but est de parler parfaitement français, puis de travailler et de payer des impôts et, enfin, je vivrai comme n’importe quelle Française."
Ioura
"Je m’appelle Ioura, j’ai 27 ans et j’ai quitté la Géorgie avec mes parents en 2010. Mon père avait un business au pays mais, un jour, il a refusé de payer la mafia qui règne absolument partout. Les types ont débarqué chez nous et ont tout cassé, nous compris.
Il s’est retrouvé à l’hôpital, a voulu déposer plainte, mais comme tout le monde se connaît dans notre petite ville et que la police et la mafia font cause commune, on l’a prévenu qu’il serait vite retrouvé. Alors on s’est enfui pour venir en France, je ne sais pas trop pourquoi ce pays, peut-être parce que c’était le meilleur endroit pour recommencer une vie. En tout cas, c’est ce qui se dit en Géorgie.
D’une certaine manière, ça m’arrangeait de partir car mon homosexualité ne me permettait plus de vivre normalement ; je devais me cacher pour échapper aux regards indiscrets d’un endroit où tout le monde se connaît. En France les gens ne s’occupent pas de la vie privée des autres, mais en Géorgie c’est très différent et pour beaucoup, il n’y a pas pire qu’un homo.
Depuis que nous sommes arrivés ici, mes parents vivent en foyer, ma mère travaille 7h par semaine et mon père a le coeur et le dos en trop mauvais état pour espérer reprendre une activité, ils n’ont pourtant que 42 ans. De mon côté j’ai bossé dans une association catholique pendant deux ans, 39h par semaine et je n’étais pas payé, on me disait que j’avais déjà de la chance d’être accepté. Je faisais un peu de tout, du ménage, du jardinage. J’ai trouvé autre chose par la suite, au sein d’une grosse association humanitaire qui me payait cent euros par mois pour 60h par semaine.
A un moment, j’ai passé sept mois dans la rue, je dormais sur les quais du métro. Maintenant je peux survivre n’importe où, je sais quels sont les meilleurs cartons pour avoir moins froid la nuit, ce sont ceux qui servent au transport des légumes. A cette époque, je fréquentais régulièrement les foyers pour SDF où je proposais systématiquement mon aide ; j’y ai fait la cuisine, des travaux, de la peinture… Maintenant, si je suis dans la galère, je peux téléphoner à des gens qui me font confiance et qui m’aideront.
Je suis actuellement hébergé par des séminaristes, je ne devais pas rester longtemps à la base, mais ils ont accepté de me garder plus de temps que prévu. J’aide la paroisse, parfois je prépare le repas ; je travaille aussi avec une famille pour laquelle je promène le chien le matin et je fais le ménage. Où que j’aille je propose mon aide, ça me permet de rester actif et d’être intégré.
J’aimerais obtenir la nationalité française car je me sens totalement imprégné par la culture du pays. Tous mes amis sont nés ici, j’ai grandi ici avec eux et, si une guerre éclate, je défendrais ce pays que je considère comme mien."

Victoria
"Je m’appelle Victoria, j’ai 40 ans, je suis ougandaise et lesbienne. Dans mon pays, l’homosexualité est punie par la prison à vie et il n’est pas rare que des homosexuels soient retrouvés morts.
J’ai grandi comme n’importe quel autre enfant en réalisant cependant très tôt que je m’intéressais davantage aux filles qu’aux garçons. J’ai connu ma première petite amie au lycée à l’âge de 15 ans ; c’est à ce moment que j’ai accepté mon homosexualité.
Pendant trois ans nous avons gardé notre relation secrète quand, un jour tandis que nous faisions l’amour chez moi, mon père nous a prises sur le fait. Sous le choc, nous nous sommes fait insulter, traiter de démons, de diables, et tabasser. Mon père m’a chassée du foyer et l’ensemble de ma famille proche m’a rejetée.
Je suis restée deux jours dehors puis je suis parvenue à me rendre à Bugoloobi où j’ai rejoint la seule personne qui pouvait encore m’aider : ma tante. Malgré la volonté du reste de ma famille de couper les ponts à jamais, elle m’a acceptée sans connaître la raison de ma séparation familiale, en fixant cependant un certain nombre de règles : elle me rescolariserait pendant deux ans puis je tiendrai la caisse dans la boutique qu’elle dirigeait.
Pendant mes années d’études j’ai rencontré une fille dont je refusais fréquemment les avances appuyées ; j’étais traumatisée par mon passé j’aspirais à la quiétude. Toutefois, après plusieurs mois, je l’ai un jour acceptée. C’est ainsi qu’en cachette a débuté ma deuxième relation amoureuse.
A la fin de mes études nous étions en 2000, je vivais une vie paisible mais ma tante s’inquiétait de plus en plus de ne pas me voir mariée. Dans ma culture, il est impensable qu’une femme ne le soit pas et le mariage a un intérêt économique pour les familles qui recueillent le prix de la dot de la mariée. A la même époque, elle a donné naissance à une première fille, puis à une seconde en 2004. Ma tante était atteinte du sida et, sa santé déclinant, je lui ai avoué sur son lit de mort la raison de mon bannissement : j’étais homosexuelle. Elle l’a accepté et m’a confié ses filles pour lesquelles je suis devenue une seconde mère après son décès en 2008. Ma tante était la personne à laquelle je tenais le plus, or malgré mon immense douleur, ma vie s’est poursuivie paisiblement ; j’avais un travail, une copine, des petites filles que j’aimais et dont je prenais grand soin.
Mais en janvier 2015 trois hommes m’ont coincée sur une route tandis que je rentrais chez moi. Ils m’ont violée et laissé inanimée sur le bas-côté. Quand on m’a récupérée, j’ai été envoyée en clinique, on m’a soignée, et dès le lendemain j’étais rentrée chez moi en compagnie de ma compagne.
Les semaines suivantes ont été éprouvantes ; en dehors de la détresse psychologique dans laquelle j’étais, je me sentais de plus en plus fatiguée.
Au bout de deux mois j’étais épuisée, je me sentais faible, malade. Mon amie m’a accompagnée jusque chez le médecin et son verdict fut sans appel : j’étais enceinte. L’avortement est illégal en Ouganda, je devais garder l’embryon ou employer des moyens détournés et illicites.
Le médecin était un homme bienveillant qui a accepté de m’aider, il m’a donné des cachets et je me suis mise à saigner, à saigner… Au bout d’un certain temps, alors que l’hémorragie persistait, m’affaiblissant chaque jour sans qu’aucune fausse couche ne se déclare, j’ai dû me résoudre à la maternité. C’était un cauchemar, ce bébé serait le fruit d’un viol et je n’avais absolument pas prévu de donner la vie à cette époque.
Je suis parvenue à reprendre contact avec ma mère et lui ai dit que je ne connaissais pas le père, qu’il s’agissait d’un homme que j’avais rencontré une nuit et que nous n’avions pas gardé contact ; elle a accepté de s’occuper de l’enfant quand celui-ci serait né. A l’heure actuelle, je n’ai aucune nouvelle de lui ; je ne sais pas du tout ce qu’il est devenu…
La même année mon père a voulu me retrouver car il voulait s’assurer que je me marierai bientôt. Il s’est rendu chez ma tante accompagné d’un ami ; ne m’y trouvant pas, tous deux m’ont cherchée dans les environs et se sont rendus dans un bar tout proche, où je me trouvais avec ma compagne. Nous étions tranquillement installées, d’humeur légère, nous embrassant inconsciemment quand mon père et son ami sont entrés ; fou de rage, il s’est jeté sur moi. Il m’a frappée extrêmement violemment et, quand je suis parvenue à m’enfuir, a hurlé aux passants de m’arrêter. Ces derniers pensant que j’étais une voleuse lui ont obéi et m’ont rouée de coups. Heureusement, la police est intervenue à temps et j’ai été emmenée à l’hôpital.
J’y ai trouvé du réconfort auprès d’une infirmière qui a fait en sorte qu’une fois rétablie je puisse sortir discrètement, avec de nouveaux habits et la possibilité de contacter mon amie.
Ma compagne s’est arrangée que je sois mise à l’abri dans une chambre ; je ne voyais personne à part un homme qui venait fréquemment m’apporter un peu d’eau de nourriture. Au bout d’une semaine on est venu me chercher pour me transférer chez le frère de ma copine. J’y suis restée cinq moins dans une situation inextricable : je n’avais plus de lieu sûr où vivre, plus de travail, je m’étais échappée de l’hôpital, mon père était à ma recherche.
Ma copine a organisé mon départ du pays pour la France. J’y suis arrivée seule, déboussolée, n’en parlant pas la langue ; j’ai passé plusieurs nuits dehors dans le froid jusqu’à prendre connaissance d’associations qui pourraient m’aider.
Beaucoup d’immigrés comme moi quittent un territoire dans lequel ils ont leurs repères, des amis, un travail, une vie correcte. Les premiers temps dans un pays étranger sont très durs mais si nous sommes là, c’est parce qu’ailleurs nous risquons la mort. Ici j’ai participé à deux gayprides qui furent pour moi des moments inoubliables de joie et de liberté.
Aujourd’hui, je peux dire que la France m’a sauvé la vie. J’ai rejoint des groupes de personnes LGBT qui constituent ma nouvelle famille ; en tant que lesbienne j’ai des droits et je peux les exprimer librement."
Mena
"Je m’appelle Mena, je suis égyptien et j’ai 34 ans. Avant d’arriver en France, en octobre 2015, j’ai été professeur pendant quatre ans auprès de jeunes enfants.
Tout se passait bien jusqu’à ce qu’une collègue que je considérais comme une amie révèle mon homosexualité à tout mon entourage. Je n’ai jamais compris pourquoi. Quoi qu’il en soit, quelques jours après des parents d’élèves ont fait pression pour que je sois licencié. La direction m’a menacé de m’accuser de pédophilie si je ne partais pas moi-même. J’ai obéi et me suis présenté à un autre établissement qui a pris soin de vérifier ma situation auprès du précédent. Évidemment, je n’ai pas été embauché ; pareil pour le suivant qui était cette fois-ci tenu par un fondamentaliste.
Je n’avais rien à attendre de bon de notre système judiciaire ; en Égypte, l’homosexualité n’est pas explicitement interdite mais extrêmement mal vue et toujours réprimée. Si tu vas porter plainte, on t’accusera de tout et n’importe quoi et tu auras ta tête et ton nom dans les journaux. Quelle que soit ta situation, s’il y a un gay dans l’affaire, ça sera lui le coupable et il n’aura aucun recours.
Les homos se cachent, c’est très dur de se rencontrer entre nous ; souvent, tu sais que le garçon en face de toi l’est mais ni lui, ni toi, ne se révélera. On a trop peur. Aujourd’hui nous parlons des homos mais nous ne sommes pas les seuls concernés par les répressions.
Depuis la révolution, le pouvoir cherche l’épuration, toutes les minorités et les marginaux sont montrés du doigt et systématiquement condamnés.
Ce n’est pas plus joyeux pour les femmes. Les veuves ou les femmes divorcées se font traiter de putes si elles ne se remarient pas rapidement. Quand elles retrouvent un mari, il peut ne pas vouloir éduquer des enfants qu’elle aurait eus avec un précédent mari. Ces enfants se retrouvent à faire le trottoir à tel point que la prostitution infantile est devenue un fléau. Et puis, concernant le femmes, il y a aussi l’excision qui leur interdit le plaisir et qui crée énormément de frustration et de violence en elles.
Moi je cumule, je suis chrétien, homo et séropositif. Avec le sida, il est impossible de se soigner en Égypte, les médecins refusent de te toucher et les hôpitaux ne te reçoivent pas.
Il fallait vraiment que je m’en aille. J’ai décidé de venir en France même si j’avais entendu que vous aviez des problèmes avec les homosexuels et les migrants que vous ne verriez pas toujours d’un bon œil. Quand je suis arrivé, j’étais effrayé, je n’ai pas trop un physique européen et je m’apprêtais à devoir continuer à me cacher…
En fait pas du tout ! Les Français sont très accueillants, on m’a tout de suite aidé, où que j’aille, et ma sexualité ne pose plus jamais de problème. Par contre, j’ai du mal à rencontrer des gens car je n’ai pas vraiment de statut, c’est compliqué de me présenter en disant que je suis juste réfugié.
Pourtant je ne reste pas les bras ballants, je dessine beaucoup, j’apprends la langue et je prépare un dossier pour entrer en école de mode. Pour l’instant je perçois une aide de l’État de 340€ et un peu de soutien de mes parents ; ma famille fait partie de la classe aisée du Caire, ils n’acceptent pas mon homosexualité mais préfèrent me savoir en sécurité ; ma relation avec eux ne va pas plus loin, comme quoi, l’intolérance n’a pas grand-chose à voir avec le milieu social."
Malik
J'ai fait la connaissance de Malik* il y a plus d'un an ; il est sénégalais, venu en France pour échapper aux violences dont sont encore victimes les homosexuels en de nombreux endroits. Je ne l'ai jamais vu serein ; il me raconte ses nuits courtes et incommodes, devenues obsédantes, ses angoisses et, plus que tout, l'effroi d'un possible retour au pays. Car il n'est nulle part en sécurité, pourchassé où qu'il aille, chez lui et ici. Malik est sans cesse sur les routes, à la recherche d'un soutien juridique, d'un travail, ou pour remplir des dossiers administratifs. Il déménage aussi fréquemment, dormant là où se présentent de rares opportunités, toutes d'une extrême précarité. Forcé de quitter la France, Malik sera bientôt présenté au juge qui statuera sur son recours.
Aujourd'hui, il a le courage de témoigner de son vécu ; il s'agit d'une énième tentative pour échapper au cercle infernale de la violence et de la pauvreté. Il veut s'en sortir, parmi nous, et retrouver la dignité qui lui fut volée.
« La foule » reviendra souvent dans son témoignage. Il s'agit des voisins, de leurs proches, des habitants du quartier ; elle est composée d'hommes et des femmes et semble rôder, tourbillonner et s'abattre. Frapper. La foule c'est cette entité mue par la passion et par le goût du sang, cette meute qui nous concerne, car elle incarne, partout dans le monde, nos excitations grégaires, arbitraires et punitives. Elle est un souffle meurtrier dont se nourrissent les bûchers, en tout lieu et à toute époque. Tapie dans l'ombre, elle s'apprête encore et toujours à bondir.

"Je m’appelle Malik, j’ai maintenant une quarantaine d’année et je viens d’un village au Sénégal. A 18 ans, comme beaucoup de jeunes, je quitte mon village pour rejoindre la capitale Dakar et y apprendre la couture. A 26 ans, les choses roulent bien : j’ai un associé avec lequel je gère un atelier de couture composé de trois employés et nous organisons des défilés jusqu’à Pékin. De nombreux projets s’accumulent et nous songeons à moderniser notre entreprise. Nous investissons alors dans de nouvelles technologies onéreuses ; chaque machine coûte 3 000€, on en a pour près de 10 000€.
En cachette – car l’homosexualité est sévèrement punie au Sénégal – j’entretiens une liaison avec mon associé. Malgré ce risque, il n’y a aucune raison que je quitte mon pays, j’y suis heureux et tout semble aller pour le mieux.
A cette époque, je suis déjà en couple avec une femme avec laquelle j’ai un enfant. Mais notre relation n’est pas officielle et l’arrivée de ma fille crée une rupture familiale et sentimentale. Des rumeurs faisant état de ma liaison avec mon associé viennent alors aux oreilles de la mère de mon enfant.
Alertés, ses trois frères défoncent un soir la porte de mon appart. Les voisins, massés en foule, sont rapidement prévenus : il y a un homo dans le quartier ! Ils arrivent de toute part, s’ajoutent au tumulte et même le chef de quartier, celui qui est chargé du bien-être de la population, prend part aux violences. Quand on découvre un homosexuel au Sénégal, c’est évènement souvent médiatisé, c’est très grave, bien plus grave qu’un meurtre. Mes assaillants décident de m’enfermer chez moi, avec mon copain, en attendant le pick-up de la police.
Quand on nous sort de l’appartement, la foule chante, nous insulte, crie, hurle « à mort ! » Dans le camion, la police nous force à nous allonger pour mieux nous humilier en nous piétinant. Nous ne serons plus jamais en sécurité.
Arrivés au commissariat, on nous installe dans une cellule dans laquelle sont déjà enfermés plusieurs malfrats. Ces derniers s’opposent vigoureusement à notre présence ; il est hors de question de partager leur espace avec des homos. Face au risque de violences, on nous fait dormir derrière le comptoir où nous passerons les trois prochains jours. Quand l’inspecteur arrive, je nie en bloc notre homosexualité. Il me répond que ses services connaissent déjà mon compagnon mais, à part quelques rumeurs, ils n’ont aucune preuve tangible de notre liaison et nous sommes finalement relâchés.
Les autorités m’ordonnent de quitter mon quartier, ce que je fais immédiatement. Dehors c’est le chaos : mon ancien atelier était déjà en partie démoli, la foule s’étant arbitrairement chargée de sa destruction. Un soir, par hasard, je croise une personne de mon précédent quartier. Il m’agresse, me brise le pied, me casse une dent, et la foule se joint à lui… Elle continue à me tabasser, c’est interminable. Euphorique et rassasiée, elle me laisse au sol, inanimé, baignant dans mon sang, me croyant enfin mort.
J’ai passé trois jours à l’hôpital dans le coma. Le jour de ma sortie, un médecin m’avertit que mon nom est cité à la radio et que, de nouveau, la foule me traque. Cette fois-ci, elle s’assurera que je ne puisse plus jamais me relever, elle souhaite que ça soit définitif, elle veut ma mort.
Je quitte aussitôt Dakar pour rejoindre mon copain. Ensemble, nous organisons mon départ pour l’Europe ; je n’ai jamais souhaité me séparer de mon pays mais c’était devenu une question de vie ou de mort.
En 2015 j’arrive en France. Je n’y avais jamais mis les pieds, j’en connais à peine la langue, je balbutie quelques mots et je lis très mal ; ici je suis ce qu’on appelle un « illettré ». Jusqu’à peu je travaillais illégalement dans une discothèque. J’y étais trois nuits par semaine, pendant dix heures à chaque fois. Je ramassais les verres, nettoyais les déchets, les sols, pour 600€ par mois. Je vivais alors en collocation en banlieue parisienne, nous étions deux dans 10m².
Quand tu arrives en France, quelle que soit ta situation, tu es seul, livré à toi-même. Si tu ne maîtrises pas bien la langue, tu es incapable de remplir un formulaire, sans ressources, tu ne peux même pas te payer un ticket de métro pour honorer un rendez-vous et pour chercher un travail. Tu es complètement déstabilisé, c’est un monde inconnu et complexe. Quand tu es dans ma situation, tu dors mal et tu es constamment angoissé ; tu n’es jamais reposé, jamais serein.
Dans ces conditions, comment avancer ? Aujourd’hui je ne trouve plus de travail, c’est dur, vraiment dur.
J’ai eu la chance de réussir à m’approcher d’une association qui s’occupe des homos exilés et qui leur apporte un soutien juridique et moral. Quand tu fais des demandes d’asile, la situation n’est pas toujours évidente à expliquer et le juge a droit de vie ou de mort sur toi. S’il te croit, tant mieux, tu vas pouvoir respirer et imaginer un avenir paisible. Par contre, s’il ne te croit pas, on te renvoie chez toi et là, que va-t-il m’arriver ? Franchement, je vais mourir.
Je vis en foyer et passe mes journées à remplir des papiers, à me déplacer pour régler des formalités administratives, j’accumule les amendes dans les transports ; je n’ai aucun moyen de payer, je ne possède rien. Je ne parviens pas à me défendre devant le juge. Que répondre quand on me déclare « Je ne crois pas en ton homosexualité ! Pourquoi es-tu devenu homosexuel à ton âge ? »
J’ai récemment reçu une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Je suis vraiment dans la merde… Je ne demande rien de plus que la permission de vivre en France, enfin je pourrai gagner ma vie honnêtement, vivre librement mes amours, contribuer au pays et m’y intégrer.
Je fais de mon mieux, je prends des cours de français, deux heures par semaine, mais je souhaiterais en suivre davantage afin d’être plus autonome et admis dans la société française.
Je suis venu en France pour retrouver ma dignité et je préfère mourir ici que de retourner là-bas."
*Le prénom a été modifié
Viktor
"Je m’appelle Viktor, j’ai 33 ans et je viens d’Ukraine où j’étais coiffeur. Je suis en France car mon homosexualité ne m’a valu que des problèmes dans mon pays.
Un soir, j’avais rendez-vous chez un homme avec lequel je m’entendais bien mais je ne le connaissais pas encore tout à fait. Je pensais que nous ferions davantage connaissance et que nous passerions une bonne soirée. Mais, quand je suis entré, il a immédiatement verrouillé la porte derrière moi et cinq inconnus sont apparus par une autre.
J’ai été torturé toute la nuit, ils avaient prévu de me tuer. J’ai réussi à m’échapper et à trouver un policier auquel j’ai tout raconté ; je lui ai montré l’appartement, donné le numéro de l’étage, de la porte, j’étais couvert de blessures mais il a considéré que j’étais bourré ou drogué. Finalement, il m’a emmené au poste pour que je dépose plainte ; j’ai attendu seul six heures durant, sans aucun soin.
Plus tard, un ami juriste m’a signalé que le papier rempli par la police n’était pas du tout adapté à mon affaire : la plainte n’était valable que deux semaines au-delà desquelles elle s’effaçait, comme si rien ne s’était passé. J’ai dépensé énormément d’argent pour constituer un dossier et faire appel à une avocate. Il y a eu plusieurs confrontations entre mon agresseur et moi et, finalement, il a été condamné à quatre ans de prison.
Le problème c’est qu’il connaissait du monde et qu’il a voulu se venger. J’étais parti vivre à Kiev mais je recevais des menaces ; une nuit, alors que je rentrais chez moi, quelqu’un m’attendait pour me tabasser. Heureusement j’ai pu m’enfuir à temps. Psychologiquement, j’ai commencé à aller de plus en plus mal et à devenir paranoïaque. Je n’avais plus aucune solution pour écarter le danger. J’en ai parlé à un ami habitant Metz qui m’a tout de suite proposé de m’héberger le temps que je constitue un dossier pour ma demande d’asile.
Au bout d’un an, j’ai pris un train pour Paris où je comptais trouver du travail. J’ai bossé dans un salon de coiffure du Marais avec des horaires de dingues, je finissais parfois à une ou deux heures du matin ; je ne connaissais pas mes droits et on me dit souvent que je suis trop gentil, alors je me suis fait avoir. Le salaire n’était pas mauvais mais je travaillais comme une machine, j’ai même l’impression que mes capacités ont régressé pendant cette période. Le rythme est tel que tu n’as pas le temps de bien faire ton travail. Je pensais qu’en France il n’y avait pas ce genre de comportement, que la loi était mieux respectées ou, en tout cas, que je serais mieux protégé.
En fait, j’ai surtout l’impression d’être seul ; quand tu arrives et que tu es dans ma situation, il n’y a personne pour t’aider, aucun service de l’État. C’est à toi d’aller chercher les informations, souvent sur internet, mais comme tu ne connais pas encore bien la langue, tu te fais souvent arnaquer. Par exemple, sur certains forums, des types proposent des cartes Vitale pour 400€, et toi tu penses que c’est normal car personne ne t’a expliqué les démarches légales pour en obtenir une.
J’ai beaucoup progressé en français, je travaille à mon compte, mais psychologiquement, je ne suis toujours pas paisible. Je passe mon temps dans les dossiers, à travailler, je n’ai même plus le goût de sortir et je décline souvent les invitations. Je déprime.
Alors, bien sûr, le côté positif c’est que je n’ai plus peur quand je mets le nez dehors ; en tant qu’homo, c’est vraiment une libération. Et puis il y a la culture française qui m’entoure et j’aime beaucoup ça. Le pire qui puisse m’arriver c’est quelques moqueries mais je ne me ferai plus tabasser.
Moi je n’ai rien demandé, j’aimerais juste avoir une peu de repos, une vie tranquille, avec un compagnon. Tout ce qu’il y a de plus banal."

Basirat
"Je m’appelle Basirat, j’ai 33 ans, je suis née à Lagos au Nigeria. Ici l’homosexualité est passible de quatorze ans de prison et, dans les états qui appliquent la charia, elle est passible de la peine de mort. J’ai été forcée de quitter mon pays en juillet 2016 à cause de qui je suis, une lesbienne. En tant que fille d’un imam, j’étais supposée suivre un chemin de vie le plus traditionnel possible. Je ne pouvais échapper à ma destinée qui était de me marier tôt et d’avoir des enfants. A cause de la pression conservatrice écrasante de mon entourage familial, j’ai fait ma nikkah – qui est le mariage musulman – avec un homme auquel j’ai donné une fille. Ma vie aurait pu se poursuivre ainsi, j’avais un métier – secrétaire -, un mari et un enfant. Mais le sort en a décidé autrement après que mon mari m’a surprise avec ma petite amie de l’époque, Amina.
Cela faisait déjà quelque temps que nous avions une relation tenue secrète : pour tout le monde, nous n’étions que des copines et, mon mari étant souvent en déplacement professionnel, nous nous aménagions fréquemment des moments pour nous retrouver. Mais ce jour-là il est rentré à l’improviste.
En nous découvrant, mon mari est entré dans une fureur effroyable ; selon lui, j’avais ruiné sa vie entière et l’avais couvert de honte. Il s’est empressé de répandre la « nouvelle » auprès de nos voisins et de ma famille. Dorénavant, tout le monde me haïssait, j’étais humiliée, j’allais perdre mon travail et certainement ma vie ; j’étais en danger. Pendant une semaine, dans l’attente de l’arrivée de la police de la charia, il m’a séquestrée. Je me suis fait battre et lacérer de coups de couteau dont je porte encore les marques. Le 23 avril 2016 j’ai appris qu’Amina, ma chérie, avait été assassinée. Si je n’avais pas brisé une fenêtre pour m’échapper à temps, j’aurais été déshabillée et lapidée en place publique ; telle est la loi.
Je n’avais aucun endroit où me rendre et il était hors de question de retourner dans ma famille, mon père devait d’ailleurs déjà être à ma poursuite pour me bannir et me remettre à la police. Au Nigéria tout le monde surveille tout le monde, les voisins ont toujours un regard pour vérifier avec qui tu es, ce qu tu fais, comment tu t’habilles. Il suffit d’une rumeur pour ne plus être en sécurité nulle part ; alors tu ne peux que fuir, fuir le plus loin possible.
J’ai rassemblé mes économies et quitté Lagos pour Ibadan qui est la troisième plus grande ville du pays, où j’ai pu obtenir un visa pour l’Italie. J’ai pris l’avion, puis un train pour Paris, la capitale d’un pays qui me permettrait d’accéder à une vie libre.
Quand je suis arrivée, par chance, la chaleur estivale m’a permis de supporter cinq nuits dans la rue, puis le Secours Catholique m’a recueillie. Grâce à eux, j’ai pu passer un mois auprès d’une famille française qui accueille des immigrés et leur permet une vie digne. J’ai par la suite été dirigée vers l’Ardhis qui s’occupe des migrants LGBT, facilite leur intégration et les assiste administrativement.
J’attends chaque semaine ma convocation auprès du juge qui décidera de mon statut ; en attendant, je ne peux pas travailler mais je suis bénévole au Secours Catholique. Je vis dans un foyer, parmi dix autres femmes étrangères ; j’ai une compagne ougandaise qui elle aussi attend sa convocation.
Je suis heureuse aujourd’hui, j’ai la possibilité d’aimer qui je souhaite ; plus tard je souhaiterais peut-être me marier, vivre sereinement et surtout, nécessairement, mieux comprendre et parler le français."

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